DORMANCES VÉGÉTALES

DORMANCES VÉGÉTALES
DORMANCES VÉGÉTALES

Chez de nombreuses plantes, les graines, les bourgeons passent par des phases de repos. Ainsi les semences mûres tombées sur le sol ne germent généralement pas, même si les conditions externes sont favorables à la croissance (température tiède, milieu humide et aéré); les bourgeons de beaucoup d’espèces vivantes cessent de croître en automne, alors que la température est encore suffisamment élevée; les bulbes perdent pendant l’été la capacité de former des hampes florales et la réacquièrent pendant l’hiver.

On dit que ces organes présentent une «dormance», que l’on peut définir comme une inaptitude à croître même si les conditions externes sont favorables.

Chez les semences, les causes de l’inaptitude à la croissance sont très variées. On emploie à leur sujet les termes de dormance ou d’inhibition avec des définitions souvent ambiguës. En fait, toute semence ne germant pas malgré des conditions optimales pour la croissance peut être considérée comme dormante, alors que l’inhibition reflète l’intervention d’un facteur externe, physique ou chimique, défavorable.

Dormance des semences

Les embryons isolés peuvent s’allonger alors que la semence entière ne germe pas. La cause de la dormance réside alors dans les enveloppes séminales (albumen, téguments, péricarpe). Dans d’autres cas, les embryons ne croissent pas; il s’agit alors d’une dormance embryonnaire. Cette distinction n’est pas toujours aisée à réaliser. Ainsi, suivant les espèces, les inhibiteurs de germination peuvent être localisés soit dans les téguments, soit dans l’embryon, soit encore dans l’ensemble de la graine. Il est donc préférable de classer les dormances suivant les causes qui leur ont donné naissance.

Présence d’inhibiteurs

Les graines et fruits secs de nombreuses plantes vivaces (bouleau, érable, frêne, noisetier, fusain) possèdent ce type de dormance. L’un des traitements les plus efficaces consiste en une exposition de graines humides au froid (de 3 à 5 0C); c’est le principe de la «stratification».

De nombreux faits expérimentaux laissent supposer que l’inhibiteur de la germination chez Rosa arvensis , Acer pseudoplatanus et Fraxinus Americana serait la dormine ou abscissine II.

Chez les semences qui ont cessé d’être dormantes, la concentration en inhibiteur a fortement diminué: il ne semble pas cependant que l’action du froid dans la levée de dormance réside dans ce mécanisme. En effet, cette action peut être remplacée par un traitement à l’acide gibbérellique; de plus, au cours de la stratification, la teneur en gibbérellines augmente progressivement.

Ainsi, chez le noisetier (Corylus avellana ), l’incapacité de germer dès la maturation par suite d’une teneur élevée en inhibiteur induit un état de dormance secondaire qui consisterait en un arrêt de la synthèse des gibbérellines. Le froid serait un facteur de leur synthèse. Il semble donc que l’entrée en dormance et la «levée de dormance» soient ici le résultat d’une modification du rapport des concentrations en inhibiteurs et en stimulants de la croissance; cet antagonisme paraît intervenir au niveau de la répression et de la dérépression de certains gènes, donc à celui de la synthèse de certaines enzymes. L’effet primaire des gibbérellines, synthétisées dans l’axe embryonnaire, réside en une induction de la synthèse d’enzymes (notamment de l’isocitritate lyase) permettant l’utilisation des réserves lipidiques des cotylédons.

Résistance mécanique des enveloppes à l’expansion de l’embryon

Le péricarpe, les téguments ou l’albumen, à cause de leur texture, peuvent opposer une résistance à la saillie de la radicule. Dans la nature, le froid, les successions d’hydratation et de déshydratation, les agents microbiens du sol peuvent affaiblir les couches dures des semences. Au laboratoire, on peut procéder à une scarification mécanique ou chimique.

Cette caractéristique est d’origine génétique, mais les conditions externes régnant pendant la formation des semences jouent également un rôle. Ainsi, les téguments des graines de Chenopodium polyspermum , ayant mûri en jours longs, sont plus épais (46 猪m) que ceux des graines formées en jours courts (20 猪m). Ces téguments épaissis sont un obstacle à la croissance de la radicule.

Imperméabilité des enveloppes

Les graines des Légumineuses présentent souvent une imperméabilité à l’eau.

Les traitements évoqués pour affaiblir la résistance mécanique des enveloppes sont également valables pour ce type de dormance. De plus, l’imperméabilité peut disparaître par trempage dans l’alcool ou l’éther, opération qui permet de dissoudre la cuticule cireuse externe.

Les enveloppes peuvent également être imperméables à l’oxygène. Pendant longtemps, on a considéré cette imperméabilité comme très fréquente. En fait, il est possible de distinguer trois cas.

1. La présence d’un épais enduit superficiel (marron d’Inde), d’une couche mucilagineuse (pommier) ou de cellules très jointives (laitues) peut être une cause d’imperméabilité. Cependant, dans le cas des akènes de laitues, seules les enveloppes sèches sont imperméables, car, de toute manière, après humidification, l’oxygène atteint l’embryon après sa dissolution dans l’eau d’imbibition qui forme une couche continue autour de l’akène; la vitesse de pénétration de l’oxygène dépend uniquement de l’épaisseur de la couche d’eau.

2. Une élévation de la pression partielle d’oxygène peut faciliter la germination en favorisant l’oxydation enzymatique d’inhibiteurs. C’est ce qui se passe chez les akènes du Xanthium Pennsylvanicum , longtemps donnés comme exemple de dormance par imperméabilité à l’oxygène.

3. Les téguments contiennent une substance phénolique jouant le rôle de barrière chimique à la pénétration de l’oxygène. Les pépins de pomme germent à basse température, parce que les polyphénols sont peu oxydés (faible activité des polyphénoloxydases) et le métabolisme de l’embryon peu intense. À température plus élevée, la germination ne se produit pas: les polyphénoloxydases ont une grande activité, le coefficient de solubilité de l’oxygène dans l’eau est plus faible et le métabolisme de l’embryon est intense. Il en résulte que celui-ci se trouve rapidement placé dans des conditions d’anaérobiose.

Dormances photosensibles

Beaucoup de semences ne germent pas à l’obscurité. L’induction peut être obtenue par une courte exposition à la lumière rouge (660 nm), l’effet de cette radiation étant annihilé par une exposition subséquente à la lumière rouge lointaine (730 nm). Ces résultats s’expliquent par la présence dans les tissus vivants des semences d’une chromoprotéine, le phytochrome, présentant deux formes photoconvertibles, l’une inactive, absorbant la lumière rouge (P660), l’autre active, absorbant la lumière rouge lointaine (P730).

La lumière blanche induit également la germination en maintenant une certaine proportion des molécules sous la forme P730. Dans les graines, le phytochrome est souvent sous sa forme inactive. Dans la nature, les semences enterrées restent dormantes, mais germent dès qu’un labour les reporte en surface. Presque toutes les adventices de culture présentent une dormance photosensible.

Dormance des bourgeons

Après avoir formé des pousses feuillées, portant des bourgeons axillaires plus ou moins inhibés, les bourgeons terminaux marquent très souvent un temps d’arrêt dans leur croissance. La cause peut en être une température trop chaude (Prunus Persica , P. Americana ) ou, plus généralement, un raccourcissement des jours. Si, à la fin de l’été, des plants d’épicéa sont transférés en serre en jours longs, la croissance continue; par contre, en jours courts, les bourgeons entrent en dormance (fig. 1). Ces modifications ne sont pas liées à l’activité photosynthétique, mais à un contrôle photopériodique (fig. 2).

Lors du raccourcissement des jours, des inhibiteurs de croissance, notamment la dormine, s’accumulent dans les feuilles. Parallèlement se produit une diminution de la synthèse des gibbérellines et des cytokinines; ces dernières substances migreraient des feuilles vers les racines.

Le facteur normal de la levée de dormance est le froid hivernal. Si la dormance est peu accentuée, les premiers froids de l’hiver suffisent à la reprise de la croissance, ce qui explique la floraison hâtive de la rose de Noël ou celle, prématurée, des renoncules. Les bourgeons à fleurs ont souvent une dormance moins prononcée que les bourgeons à feuilles. Ainsi, les Forsythia , les jasmins d’hiver fleurissent avant l’apparition des feuilles. Une période sèche suivie de précipitations abondantes peut être à l’origine de la levée de dormance (floraison automnale des marronniers).

On utilise un certain nombre de traitements artificiels: immersion dans l’eau à 40 0C, anesthésiques (employés pour les lilas) ou 2-chloroéthanol. La levée de dormance est caractérisée par une diminution de la teneur des bourgeons en inhibiteurs et une augmentation de la concentration en citokinines.

L’entrée et la levée de dormance semblent dépendre de la répression et de la dérépression de certains gènes. Ainsi, l’ADN extrait de bourgeons dormants, montre une faible activité de synthèse d’ARN in vitro . L’ADN de bourgeons non dormants est, au contraire, très actif. On admet que la répression des gènes est due à une liaison avec des histones (protéines basiques). Le rôle de ces protéines comme agent répresseur des gènes fait l’objet néanmoins de nombreuses discussions.

Dormance des tubercules et bulbes

Les bourgeons de pomme de terre, les «yeux», sont dormants lorsque la partie aérienne de la plante meurt. Ils présentent des divisions cellulaires et augmentent donc de diamètre mais ne manifestent aucun allongement. Cette dormance est plus ou moins profonde selon les variétés. L’éveil est spontané et résulte du simple stockage des tubercules ou de leur conservation dans le sol. À la «germination», le bourgeon apical croît rapidement et inhibe les autres «yeux». La dormance, insensible au froid, peut être levée par la monochlorhydrine du glycol, la thiourée ou l’acide gibbérellique. Dans ce cas, tous les bourgeons croissent (pas de dominance apicale). Pour conserver plus longtemps les tubercules non «germés», on peut renforcer la dormance en les traitant par une auxine. Les bourgeons dormants n’incorporent pas de bases azotées comme l’uridine dans leurs ARN; les traitements de levée de dormance sont inhibés par l’actinomycine D; enfin, l’ADN extrait de bourgeons dormants ne synthétise pas d’ARN in vitro en présence d’ARN polymérase et de nucléosides triphosphates. Ces résultats laissent supposer que des gènes sont réprimés.

Chez les plantes à bulbe, à la fin du printemps, après la floraison, la partie aérienne de la plante sèche et le bulbe souterrain persiste. Les ébauches de fleurs et de feuilles de l’année suivante s’y organisent. À cette période d’organogenèse, nécessitant une température moyenne (20 0C), fait suite une période d’éveil (levée de dormance) qui se produit à plus basse température (12 semaines à 8 0C pour la tulipe).

Importance écologique

Les dormances des semences et des bourgeons jouent un rôle incontestable dans la vie des plantes. Elles représentent une véritable adaptation aux climats; en effet, semences et bourgeons dormants sont très résistants aux basses températures, ce qui n’est pas le cas des jeunes plantules et des bourgeons en croissance active. En outre, le froid est le facteur primordial de la levée de ces dormances.

Dans les régions tropicales, c’est la saison sèche qui conditionne l’entrée et la levée de dormance.

Cette adaptation physiologique intervient aussi dans les régions subdésertiques où les graines ne germent qu’après des précipitations atmosphériques suffisantes pour assurer ensuite le cycle de vie de la plante qui se réalise en trois ou quatre semaines (plantes éphémères). Les pluies faibles sont inefficaces, même si elles ont permis l’imbibition des graines, car les téguments contiennent des inhiniteurs hydrosolubles, de nature encore inconnue, que seules des pluies abondantes peuvent lessiver. Ces inhibiteurs sont de véritables pluviomètres. Un même mécanisme de régulation existe chez les végétaux vivant sur les sols salés (plantes halophytes).

Ces dormances représentent donc une sorte d’horloge biologique. Malgré de nombreuses recherches, le métabolisme fondamental et les implications phylogénétiques des dormances restent mal connus.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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